Mais au petit matin, alors que tout est calme dans les appartements de Leonardo....

ACTE 2 – Scène 1
(Salaï, Matilda)
Lumière. Eclairage du
jour. La scène est déserte.
Un grand cri retentit
soudain.
Matilda : Salaaaaïïïï !
Salaï débarque en
trombe sur la scène. Il est habillé avec une robe. Celle que portait Mona Lisa
dans le premier acte.
Il est paniqué, il
hésite entre la chambre de Léonard et l’atelier. La chambre est encore fermée à
clef et il la secoue une ou deux fois avant de chercher le double dans son
corsage.
Entendant quelqu’un
arriver, il se rue dans l’atelier,
referme la porte et se tient contre elle pour la caler.
Matilda arrive
quelques secondes après.
Matilda : Salaï !
Qu’est-ce que vous avez encore fait ! Où êtes-vous ?
Salaï : Je n’ai rien
fait ! Rien du tout !
Elle essaye d’ouvrir
la porte mais Salaï l’empêche d’entrer.
Matilda : Salaï ! Ouvrez
cette porte !
Salaï : Elle est ouverte mais
je ne veux pas vous voir !
Matilda : Il y a en bas deux
domestiques de la maison Del Giocondo ! Ils affirment qu’un intrus s’est
introduit chez leur maître et qu’il a dérobé une des robes de la signora Lisa
Giocondo.
Salaï : Je ne vois pas de
quoi vous parlez ! J’étais là tout le temps !
Matilda : Je rêve ou je vous ai
vu passer en robe ?
Salaï : Je suis nu comme un
ver, je me suis fait voler mon argent et mes vêtements cette nuit. Partez
maintenant !
Matilda : Salaï ! Arrêtez
de me mentir et rendez-moi cette robe ! Je vais tâcher de m’arranger avec
ces deux domestiques en bas.
Salaï : Non !
Jamais ! Je la garde !
Matilda : Oh ! Mais
qu’est-ce qui vous a pris de faire cela ? Quand vous trouviez cette robe
jolie, je pensais que c’était une façon de parler.
Salaï : Je ne voulais pas la
prendre, j’étais venu pour autre chose mais ça été plus fort que moi !
Matilda : Salaï, vous êtes en
train de salir votre maître et la
réputation de cette maison !
Salaï : Je m’en fiche !
Matilda : Laissez-moi
entrer !
Elle pousse très fort
sur la porte. Salaï résiste un instant mais plie. Matilda entre dans l’atelier.
Salaï : Quand vous étiez
petite, votre père vous mettait un attelage
et vous labouriez la terre ? Vous avez la force d’un bœuf !
Matilda : Non mais j’avais trois
frères et pas un n’était de taille face à moi !
Salaï : Moi j’avais quatre
sœurs et jamais elles n’ont eu la chance de porter une robe comme celle-ci ! (Un temps) Surtout à ma taille !
Matilda : ça suffit
maintenant ! Rendez-la-moi!
Ils font une espèce
de jeu du chat et de la souris entre les tableaux et les statues.
Salaï : Non !
Matilda : Salaï !
Salaï : Mais le tissu est si
léger, si doux…J’ai l’impression de me retrouver dans la peau de Mona
Lisa !
Matilda : (Elle se signe) Seigneur ! J’en
appelle à tous les Saints armés d’une grande patience. (A Salaï)Vous êtes
surtout dans des vêtements qui coutent une fortune et que vous allez me rendre,
avant que je vienne vous les enlever moi-même !
Salaï : (la défiant) Essayez pour
voir ! Et vous aurez le plaisir de me voir enfin tout nu.
Matilda s’arrête net.
Salaï tourne le dos au public
Matilda : Vous voulez dire que
vous ne portez rien dessous ?
Salaï : Rien du tout !
Et je vous le prouve !
Il soulève sa robe
toujours de dos mais face à Matilda. Celle-ci pousse un cri et se cache le
visage de ses mains avant de se signer.
Matilda : Jésus, Marie,
Joseph !
Salaï : Je sais… ça
impressionne toujours.
Matilda : Bon, …euh….allez-vous
changez ! Et laissez-moi la robe en bas ensuite.
Salaï : Je voudrais la garder
un peu. Un jour ou deux…
Matilda : Salaï !
Changez-vous ou je fais monter ces deux hommes ! Et ils n’auront pas
autant de scrupules que moi !
Salaï : Deux hommes sans
scrupules ? Si vous croyez m’impressionner ! J’en ai vu
d’autres !
Matilda : Bon cette fois, j’en
ai assez, je vais devoir avertir le Signore
Machiavel !
Salaï : (Apeuré) Machiavel ?
Matilda : (Voyant qu’elle le tient enfin) Oui, Machiavel ! Vous connaissez
son indulgence envers les voleurs… Le cachot ou la potence selon son humeur…
Salaï : ça va, ça va…Je vais
l’enlever. Mais…
Matilda : Mais ?
Salaï : Promettez-moi de me
débarrasser de ces deux hommes en bas. (Se
frottant la cuisse) Pour les cailloux j’ai déjà donné. L’un des deux vise
comme un chef.
Matilda : (Ironique) Deux hommes sans
scrupules qui lapideraient une pauvre femme sans défense ? Je vais
leur donner un jambon et l’affaire sera close. Ne traînez pas ! Je leur
rapporterais la robe moi-même.
Elle sort. Salaï se
frotte encore la cuisse en grimaçant, puis prenant conscience de la qualité du
tissu, se met à le caresser doucement.
Salaï : (parlant à la robe) Elle a raison, tu
sais. Nous ne pouvons pas rester ensemble.
Notre relation aura été courte mais fusionnelle …Toi et moi, courant
comme deux jeunes amoureux dans les rues
de Florence et se riant des deux rustres à nos trousses... (Un soupir) Jamais je ne t’oublierais.
Que le monde est ingrat pour les marginaux illuminés de beauté comme nous.
Il fouille dans son
corsage et sort la clé. Il va jusqu’à la porte de la chambre et l’ouvre avant
de rentrer.
Salaï :
(pour lui-même) Quel chaleur dans cette chambre ! C’est
suffocant ! (un coup d’œil vers la
lucarne) Et quel est l’imbécile qui a eu l’idée de mettre une si petite
fenêtre à cette hauteur ? Bon allez, on y va !
Il essaye de sortir
de la robe en se contorsionnant tant bien que mal.
ACTE 2 – Scène 2
(Salaï, Machiavel,
Matilda)
Machiavel arrive par
le fond du couloir au même moment.. Salaï
n’arrive pas à défaire sa robe et souffle un grand coup.
Salaï : (pour lui-même) De l’air, de l’air,
il me faut de l’air.
Il fouille dans une
poche de la robe et sort un petit éventail. Il s’aère le visage nerveusement.
Salaï : Allez, courage ma
fille !
Machiavel jette un
œil à l’atelier sans y rentrer. Il voit la porte de la chambre ouverte et
entre.
Machiavel : Oh, bonjour, Signora.
Salaï reconnaît la
voix de Machiavel et met rapidement l’éventail devant son visage.
Salaï : (prenant une voix de fausset) euh…Bonjour…
Machiavel : Je cherche Leonardo Da Vinci, il n’est pas là ?
Salaï : euh…Non…il doit être
à son chantier à la salle du conseil.
Machiavel : Non, j’en reviens. Et
…pardonnez-moi, vous êtes ?
Salaï : Moi ?…Mona…Mona
Bella di Tutti Quanti…Je suis une cousine éloignée de Leonardo.
Machiavel : Signore Machiavel
pour vous servir.
Il s’avance et lui
fait le baisemain. Salaï sursaute.
Machiavel : J’ignorais que Da
Vinci avait une cousine aussi charmante. (Un
temps) Avec des mains si gracieuses.
Salaï : Lui aussi à vrai
dire…
Machiavel : Pardon ?
Salaï : euh…Nous nous sommes
retrouvés il y a seulement quelques jours…les histoires de famille, vous savez
ce que c’est. Des cousins et des cousines à tous les carrefours.
Machiavel : Je vois. (Un temps) Nous serons sans doute plus à
l’aise pour attendre Leonardo dans son atelier.
Salaï : Oh, non. Ce ne serait pas convenable.
Machiavel : Ce qui n’est pas
convenable c’est de l’attendre dans sa propre chambre. (Pour lui-même) Cela pourrait donner des idées.
Salaï : L’atelier est trop
éclairé … heu…Trop aéré à mon goût…J’ai un petit rhume, je ne voudrais pas
que ça s’aggrave. (Il fait mine de d’éternuer).
Vous voyez !
Machiavel : Vous avez raison Mona
Bella, cette chambre est plus…chaleureuse… Plus intime aussi.
Un temps. Salaï
embarrassé, s’assoit sur le lit, se cachant le visage entre deux battements
d’éventail pour s’aérer. Machiavel inspecte le couloir en restant sur le pas de
la porte.
Salaï : (En aparté) Mais il ne va pas s’en aller, ce vautour ?
Machiavel : Et vous êtes mariée,
Mona Bella di Tutti Quanti ?
Salaï : Moi ? (Il éclate d’un rire embarrassé) Ah grand
Dieu, non ! Quelle idée ! Et vous ?
Machiavel : Non plus. (Fermant
doucement la porte) Mais je ne suis pas insensible aux charmes des
jolies femmes.
Il pose sa canne et
s’assoit sur le lit, juste derrière Salaï.
Salaï : Je peux savoir ce que
vous faîtes ?
Machiavel : Vous semblez avoir
très chaud dans cette robe. Vous permettez ?
Il lui dénude
doucement l’épaule et lui dépose un baiser dans le cou.
Salaï : (de la même manière que Matilda) Jésus, Marie, Joseph !
Machiavel : Je vous ai fait
frissonner ?
Salaï : Oui, j’en ai la chair
de poule.
Machiavel : Vous êtes ravissante,
Mona Bella.
Salaï : Signore Machiavel, je
crois qu’il est temps que vous partiez avant de faire une grosse bêtise.
Machiavel : J’adore les grosses
bêtises.
Salaï : Je n’en doute pas.
Moi aussi… en temps normal… mais là je ne peux pas.
Machiavel : (déçu) Je vois. Vous ne voulez pas de moi parce que…
je boite. Un infirme ne saurait être assez convenable pour vous.
Salaï : Non, non, non. Pas du
tout. J’ai connu pire, croyez-moi.
Machiavel : Alors ?
Un temps. Salaï
hésite.
Salaï : Je ne suis pas votre
genre de femmes.
Machiavel : Si tout à fait !
Salaï : Non, pas du tout.
Machiavel : Belle, mystérieuse et
tendant une perche dans une chambre que je m’empresse de saisir.
Salaï : Vous vous méprenez sur la perche et tout le reste. J’allais me reposer.
Machiavel : Reposons-nous.
Il s’allonge sur le
lit. Salaï secoue son éventail de plus en plus nerveusement.
Salaï : Signore Machiavel,
votre insistance m’honore mais j’ai peur de vous décevoir.
Machiavel : J’en doute.
Salaï : Je suis
indisposé !
Un temps. Machiavel
se redresse.
Machiavel : Indisposée ?
Comment cela ?
Salaï : Vous savez bien. Une
fois par mois… les femmes sont indisposées…
Machiavel : Oh ! Et c’est
pour cela que vous vous refusez à moi ?
Salaï : C’est l’unique
raison, croyez-moi. Alors maintenant si
vous vouliez bien me laisser…
Matilda commence à
revenir par le couloir du fond.
Machiavel : Alors vous ne verrez
pas d’inconvénient à ce que je fasse ceci.
Avant que Salaï n’ait
pu réagir, Machiavel l’attrape par la nuque et l’embrasse amoureusement. Surpris,
le pauvre Salaï tend les bras en croix et l’éventail frétille de plus belle.
Matilda : Bon alors, elle est toute
nue la vilaine fille ? (Matilda
ouvre la porte à ce moment-là.) Que le diable m’emporte !
Elle referme la porte
brusquement et d’un geste nerveux, sans s’en rendre vraiment compte elle tourne
la clef dans la serrure. Anxieuse et ne sachant quoi faire, elle attend dans le
couloir avec un air hébété.
Machiavel : Qui
était-ce ?
Salaï : (remettant son éventail devant son nez) La femme de chambre. Là, ça y est ! Ma réputation
est morte !
Machiavel : Laissez-moi faire, je
m’en occupe.
Il se relève et tente
d’ouvrir la porte, faisant sursauter Matilda.
Machiavel : (surpris d’être enfermé) Ouvrez, je vous l’ordonne
Matilda s’avance en
déglutissant et tourne la clef. Machiavel ouvre la porte aussitôt. Il l’observe
un bref instant puis sort une petite bourse de sa tunique.
Machiavel : Vous n’avez rien vu.
Je m’en vais. Je fais juste mes adieux à la dame.
Il met la bourse dans
les mains de Matilda, récupère la clé et
referme la porte.
Matilda : (face public) La dame ?
Machiavel : Mona Bella…je dois
hélas m’en aller. Mais cette rencontre m’a ravi. Je reviendrais vous voir quand
vous aurez… de meilleures dispositions. (Il
lui fait le baisemain) A bientôt.
Et il sort, mettant
la clé dans sa poche. Sans un regard pour Matilda qui le regarde partir au fond
du couloir.
Matilda : (à Salaï) La dame ?
Salaï : Oui…Mona Bella Di
Tutti Quanti…ne dites rien, j’ai suffisamment honte. Ce balourd est arrivé au
moment où j’essayais d’enlever cette robe. J’ai dû me faire passer pour une
cousine de mon maître.
Matilda : Vous êtes si pressé
que cela de sentir la corde autour de votre cou ? C’était Signore
Machiavel !
Salaï : Je sais, je sais. Au
fait, il vous a donné combien ?
Matilda : (regardant la petite bourse) Suffisamment pour que je me taise ! J’en aurai vu de
drôles dans cette maison… (Elle range
l’argent dans une de ses poches) Jésus, Marie, Joseph !
Salaï : (se levant et allant derrière le paravent) Je vais m’évanouir si je
ne retire pas cette maudite robe, venez m’aider avant que j’étouffe sur
place !
Matilda : Ah ! Mais quelle
idée ! Quelle idée !
Matilda passe
derrière le paravent. Ça gigote derrière. On entend un cri.
Salaï : Aie ! Mes
cheveux !
Matilda : Oh ! Mais ils
sont trop longs aussi ! Allez chez le coiffeur ! On vous prend pour
une femme !
Salaï : C’est ce qui m’a
sauvé de Machiavel ! Vous imaginez s’il m’avait reconnu ? Quoique son
haleine ait failli m’abattre ! Bon, fermez les yeux, je vous rappelle que
je suis nu.
Matilda : Je les ferme !
Je les ferme !
Matilda ressort de
derrière le paravent avec la robe et les
yeux fermés.
Salaï : Vous trouverez des
vêtements de rechange dans la malle près du lit.
Elle pose la robe sur
le lit et ouvre la malle. Elle dépose les nouveaux vêtements sur le rebord du paravent, ceux-ci
disparaissent l’un après l’autre.
Salaï : Merci. Ça ira. Les
deux chiens de garde en bas vont pouvoir rentrer chez leur maitre.
Matilda : A la bonne
heure ! C’est que vous me mettez en retard dans mes corvées avec vos
histoires !
Elle récupère la robe
et s’apprête à repartir quand elle s’arrête soudain.
Matilda : Salaï ?
Salaï : Oui ?
Matilda : Rendez-moi la
bourse ! Je pense l’avoir largement méritée !
La bourse est
balancée par-dessus le paravent. Matilda la rattrape au vol et sort.
Matilda : Dieu vous le
rendra !
Salaï : C’est ça…